Un an après 8,760 jou, BIC revient avec Leta vs Ayiti, un pamphlet musical avec droit dans le viseur l’État haïtien. Cette voix intemporelle, du haut de ses 25 ans de carrière, demeure fidèle aux idéaux qui l’ont vu naître : faire de la musique un instrument de conscience. C’est d’ailleurs l’essence même de ce dernier son sorti le 17 octobre 2025 et portant les marques de Samsbeatz à la production et de Lil-B au mastering.
Une confrontation atypique mais terriblement réelle. En à peine 3 minutes 53 secondes, BIC, l’un des plus grands paroliers de sa génération, dresse un tableau poignant d’une Haïti à bout de souffle et fait résonner, sans langue de bois, la douleur de tout un peuple.
Le premier couplet fait l’objet d’un constat accablant. BIC y peint, sans la moindre complaisance, le portrait d’un pays à la dérive, miné par la corruption, l’hypocrisie et l’immoralité de ses dirigeants. « Leta ranmasè, ranmase bibon mete nan bouch papa. Leta grapiyè, ranmase pa grap mete nan makout papa », rappe-t-il, évoquant un État infantile, cupide et parasitaire, qui prend tout sans jamais rien offrir en retour.
Le premier couplet fait l’objet d’un constat accablant. BIC y peint, sans la moindre complaisance, le portrait d’un pays à la dérive, miné par la corruption, l’hypocrisie et l’immoralité de ses dirigeants.
Mais il ne s’en prend pas qu’aux politiciens. BIC élargit sa critique à une société tout entière en perte de repères : « Medya medyòk, animatè debachi kanpe an Bacha. Komèsan sansi k ap souse yon pèp san pouvwa d acha. Legliz an pozisyon sizo nan plas pozisyon misyonè ». Médias, commerçants et Église, trois piliers sociaux, ont, eux aussi, les mains plongées jusqu’aux coudes dans la décadence haïtienne.
« Pandansetan pitit peyi a ap mouri. Sa k pran lanmè angrese reken, sa k pran raje angrese chen », se désole-t-il. Livrée à elle-même, la population, sans aucun refuge et ne sachant à quel saint se vouer, subit les moindres faux pas de l’État. Pire encore, elle endure l’indifférence, voire le rejet, de ses voisins immédiats. « Sendomeng ap met nan bòl nou, Tonton Sam ap bwase bil nou, Kanada pran yo pa wè n anba bal nou », ajoute BIC.
La responsabilité entière est attribuée à nos politiciens, de tous poils. BIC enchaîne une série de portraits satiriques : « Politisyen Pâte à modeler, san kolòn vètebral… Politisyen machann lanmò, politisyen machann peyi… ». La répétition accentue l’effet d’écrasement : tous apparaissent corrompus, déformés, vendus. L’artiste joue avec l’ironie et la musicalité du kreyòl pour frapper plus profondément l’imaginaire collectif.
Le refrain rompt avec la colère, le dégoût et le ras-le-bol de l’artiste pour laisser entrevoir une lueur d’espoir : « An nou rele Ayiti (cheri), Nou gen bòn volonte pa gen volontè nan Leta nou an non », rappelant que le peuple conserve sa bonne volonté, mais que le leadership fait défaut. C’est un appel à une renaissance patriotique, presque spirituelle.
Le refrain rompt avec la colère, le dégoût et le ras-le-bol de l’artiste pour laisser entrevoir une lueur d’espoir.
L’appel final du refrain renferme un message digne d’attention. BIC y préconise un autre Dessalines pour délivrer le pays des griffes de l’État corrompu. Cette requête dépasse la simple référence historique ; elle peut être vue comme un signal prônant une refondation radicale, voire une seconde libération de la nation. Sa dénonciation d’une classe dirigeante jugée traîtresse et irréformable confère à ce morceau une dimension nouvelle.
La dernière strophe se fait serment de fidélité à la patrie. BIC s’engage, jusqu’à la mort, à défendre la vérité, la dignité et la mémoire des ancêtres : « Ak konviksyon m ap rete soude jiska lamò… Renmen peyi w jiska lamò, defann peyi w jiska lamò… ». Il s’érige en poète-soldat et transforme l’idée de « jusqu’à la mort » en refrain moral : la fidélité à la vérité et à Haïti devient un devoir sacré.
Ces dernières années, Haïti s’enfonce dans une spirale d’insécurité sans précédent. Plus de 80 % de la capitale se trouve désormais sous l’emprise de gangs armés qui tuent, violent, pillent et kidnappent en toute impunité. Face à cette violence systémique, de nombreux Haïtiens n’ont d’autre choix que de fuir leur pays ou de se terrer dans la peur. C’est dans ce climat d’angoisse et de désespoir que s’inscrit Leta vs Ayiti. L’artiste y fait résonner la douleur d’un peuple abandonné, tout en lançant un cri d’alarme contre un État démissionnaire.
Roosevelt Saillant, dit BIC tizon dife, 49 ans, guitariste, chanteur, rappeur et compositeur, n’est plus à présenter. Cette année, il célèbre ses 25 ans de carrière. Pour l’occasion, il a entrepris des tournées dans des universités en Haïti, aux États-Unis et au Canada, et a publié Le Champ MagnéBIC, un recueil rassemblant les paroles de ses chansons.
Du haut de ses 25 ans de carrière, ce pilier du rap engagé en Haïti compte neuf albums à son actif : Pouki (2000), Wow (2005), Plus loin (2008), Kreyòl chante kreyòl konprann vol. 1 (2010), vol. 2 (2012), Recto-verso (2014), Vokabilari (2016), BICsyonè (2018) et Été en hiver (2023). Si le poids des années se fait sentir, une chose est sûre : son talent, sa poésie et sa plume conservent toute leur fraîcheur et l’engagement du début. Leta vs Ayiti en est une preuvre probante. Ce titre est à écouter, à ré-écouter et à méditer.






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