La sélection haïtienne affrontera ce lundi le Honduras, à Tegucigalpa, dans le cadre de la quatrième journée de la dernière phase des éliminatoires de la Coupe du monde 2026. À trois matchs d’un exploit historique, les Grenadiers peuvent encore rêver d’une qualification directe, 52 ans après leur unique participation, en 1974. Mais cet espoir, aussi grand soit-il, prend racine dans l’un des contextes les plus défavorables de l’histoire du football haïtien.
Depuis l’épopée allemande, la sélection haïtienne masculine sénior n’a plus jamais foulé les pelouses d’un Mondial, malgré sa présence à chaque campagne éliminatoire. La seule parenthèse remonte à 1990, lorsque le pays, plongé dans l’instabilité politique après la chute du régime duvaliériste, s’était retiré. Entre juin 1985 et avril 1991, l’équipe nationale n’a d’ailleurs disputé qu’un seul match international, face à la Colombie.
Les campagnes suivantes furent une succession de fausses espoirs et de désillusions. En 1985, lors des éliminatoires du Mondial 1986, Haïti termina dernière de sa poule, derrière le Canada et le Guatemala, sans inscrire le moindre but. En 2018, elle échoua au quatrième tour, juste avant la dernière phase, laissant entrevoir une fois encore le rêve… sans pouvoir le toucher.
Ces échecs récurrents trouvent leur origine dans l’absence de planification, une désorganisation chronique et un cruel manque de ressources. Le football haïtien repose plus sur la passion de son peuple que sur de véritables structures. Par moments pourtant, les Grenadiers ont su ranimer la flamme.
Ces échecs récurrents trouvent leur origine dans l’absence de planification, une désorganisation chronique et un cruel manque de ressources.

En 2007, sous la direction du Cubain Armelio Luis García, Haïti remporta la Coupe caribéenne des nations, portée par des talents comme Fénelon Gabart, Alexandre Boucicaut, Bruny Pierre Richard, Jean Sony Alcenat « Tiga » ou encore Jean-Jacques Pierre. Une génération prometteuse qui fit croire, un instant, que le rêve mondialiste pouvait renaître. Mais la suite fut décevante : lors des deux Gold Cup suivantes, les Grenadiers furent éliminés dès les premiers tours. Cette alternance de promesses et d’échecs s’est poursuivie au fil des années. Après la Gold Cup 2019, ponctuée d’une demi-finale historique, Haïti fut reléguée en Ligue B de la Ligue des Nations à peine deux mois plus tard.
Lors de cette campagne éliminatoire pour 2026, l’absence des géants de la zone (États-Unis, Canada, Mexique), déjà qualifiés d’office comme pays hôtes, semblait ouvrir une brèche pour Haïti. Mais la sélection devait aborder ce rendez-vous dans un chaos total.
En 2020, la Fédération haïtienne de football fut secouée par un scandale d’abus sexuels impliquant son président, entraînant la mise en place d’un comité de normalisation par la FIFA. L’année suivante, l’assassinat du président Jovenel Moïse plongea le pays dans une crise politique et sécuritaire sans précédent.
Résultat : Haïti ne peut plus recevoir ses matchs à domicile au stade Sylvio Cator, le dernier remonte à juin 2021 contre le Canada. Le championnat national, déjà interrompu par la pandémie de COVID-19, n’a jamais repris normalement à cause de l’insécurité. Pire encore, le centre de formation de la FHF, le Camp Nou de la Croix-des-Bouquets, est aujourd’hui sous le contrôle de gangs armés.
Le football moderne exige préparation, infrastructures et régularité. Haïti, elle, persiste à avancer sans ces piliers essentiels. Dans ce vide total, les expatriés ont pris le relais. Ce choix, autrefois clivant, s’est imposé par la force des choses. Pendant longtemps, une partie du public exigeait plus de joueurs locaux, considérant les binationaux comme des « choix par défaut », venus défendre Haïti uniquement faute d’appel ailleurs. Les résultats irréguliers, les changements répétés de sélectionneurs et une perte de motivation apparente chez certains cadres ont accentué le divorce entre l’équipe et son public. Privée de ses matchs à domicile, la sélection semblait aussi privée de soutien. Même sur les réseaux, les critiques se multipliaient, allant parfois jusqu’à l’insulte.
Le football moderne exige préparation, infrastructures et régularité. Haïti, elle, persiste à avancer sans ces piliers essentiels.
Après un second tour quasi parfait face à la Barbade, Sainte-Lucie et Aruba, la lourde défaite 5-1 contre Curaçao en dernière journée a valu à Haïti une deuxième place. Le sélectionneur et son groupe étaient alors sous le feu des critiques des médias et des supporters avant la dernière phase, dans un groupe relevé avec le Honduras et le Costa Rica. La dernière phase avait pourtant tout pour virer au cauchemar. Mais contre toute attente, les Grenadiers ont répondu présents de fort et belle manière.
Après un nul frustrant contre le Honduras, le match nul 3-3 face au Costa Rica, alors qu’ils étaient menés 2-0 à la pause, a marqué un tournant symbolique. Cette prestation a fait renaître la flamme chez les supporters, même à distance. Renforcée par l’arrivée de joueurs binationaux évoluant dans les grandes ligues comme Jean-Ricner Bellegarde (Wolverhampton), Josué Casimir (AJ Auxerre) ou Hannes Delcroix (Burnley), la sélection s’est redressée Sous la direction du coach français Sébastien Migné, les Grenadiers ont prouvé qu’ils pouvaient transcender le chaos pour rallumer une lumière que beaucoup croyaient éteinte.
Aujourd’hui, à trois matchs de la fin, Haïti peut encore rêver d’un retour à la Coupe du monde, 52 ans après celle de 1974. Mais ce rêve a quelque chose d’inédit : il se construit sans championnat et sans public. Les Grenadiers livrent cette bataille loin de leur terre, privés des chants et des drapeaux des fans.
S’ils parviennent à se qualifier, ce serait bien plus qu’un exploit sportif : un miracle national. « Ce n’est pas quand tout est prêt qu’il faut espérer, mais quand il ne reste que l’espoir ».


Nerliyou
Good job